Olivier Grenson, bonjour
Hello!
Pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, pouvez-vous vous présenter en quelques mots…
Je suis avant tout dessinateur de BD, une passion qui ne me quitte plus depuis mes 10-12 ans, quand je me suis rendu compte, en lisant un livre : « Comment devenir créateur de bande dessinée », que dessiner et raconter des histoires de p’tits mickeys était un métier.
J’ai commencé mes premiers pas en publiant des histoires courtes dans Spirou, Tintin, Circus avec l’envie et l’idée très précise de travailler sur une série et donc d’enchaîner les aventures d’un personnage album après album. Il y aura d’abord CARLAND CROSS aux Editions Lefrancq réédité aujourd’hui chez Soleil (7 albums parus) et ensuite NIKLOS KODA au Lombard avec le scénariste Jean Dufaux, je termine les dernières planches du 4ème opus (parution prévue en novembre).
Pouvez-vous nous raconter votre relation au dessin quand vous étiez petit? Faisiez-vous déjà de la BD?
J’ai toujours dessiné, ma mère est peintre et m’encourageait quand j’étais petit, mais très vite ma passion débordante a pris le dessus. Vers 7-8 ans, je me suis rendu compte que j’étais différent des autres car je dessinais tout le temps. A cet âge, je réalisais de véritables mises en scène avec des soldats, en racontant des histoires stratégiques d’attaques et de défenses des « tuniques bleues et indiens ».
C’est naturellement que ces deux passions se sont liées, le dessin et l’histoire… Je m’inspirais des dessins d’Hergé et de Morris, je composais à partir de dessins recopiés mes propres histoires d’un personnage… cow-boy… qui s’appelait Ove et son cheval « Lovely Quickly »! J’ai réalisé ainsi ma première bande dessinée, une trentaine de pages que j’avais photocopiées, agrafées et vendues aux copains de classe… J’avais 12 ans !
« Mais surtout, je rencontre des gosses de mon âge qui partagent la même passion et plus fort encore, je me rends compte que je ne suis pas le meilleur, ce qui me donne un fameux coup de pied au cul… ‘y a pas de miracle, c’est comme ça qu’on progresse! »
Ensuite vous grandissez, est-ce que vous prenez des cours? Est-ce que vous cherchez à avoir une formation dans le dessin ou dans ce mode de narration que vous pratiquez ?
Pour mon entourage, il était évident que je ne voulais plus devenir joueur de foot mais dessinateur de BD! Mon grand-père connaissait des gens de l’imprimerie Spirou à Marcinelle, j’ai alors pris connaissance d’un cours de BD donné par le coloriste de l’époque attitré aux Editions Dupuis, Vittorio Léonardo.
J’y apprends les rudiments du métier pendant 4 -5 ans… Mais surtout, je rencontre des gosses de mon âge qui partagent la même passion et plus fort encore, je me rends compte que je ne suis pas le meilleur, ce qui me donne un fameux coup de pied au cul… ‘y a pas de miracle, c’est comme ça qu’on progresse!
Mes parents m’obligent toutefois à terminer mes humanités classiques jusqu’à la Rhéto (le bac) – (science-math) – avec la possibilité de faire après ce que je veux.
Je « monte » à Bruxelles pour y suivre le cours de BD à St Luc mais finalement je me retrouve dans une école très différente : l’ERG (l’école de recherche graphique) ce qui me donnera une vision plus large des arts en général, une ouverture d’esprit, une réflexion, une autocritique plus pertinente et surtout moins traditionaliste… (ma culture à l’époque, en sortant d’humanité était très limitée)… Cette école, non spécialisée dans la BD, m’a permis de travailler d’autres médiums, d’autres outils notamment le super 8 et l’animation. Cela dit, la BD restait une idée fixe et je suivais parallèlement le cours du soir donné par Eddy Paape, le créateur de l’atelier BD de St Luc.
Cet atelier me permettait d’être en contact (de nouveau) avec de futurs professionnels comme Wurm, Dugommier, Denis Bodart, Marc Lumer…
C’est Eddy Paape qui m’encourage à présenter mes premières planches au Lombard pour le journal TINTIN. C’est Claude Renard (rencontré lors de l’une ou l’autre entrevue) qui m’encourage à laisser tomber le dessin humoristique pour un dessin réaliste. C’est l’enseignement de l’ERG qui m’aide à évacuer le traditionalisme de la BD – Spirou -Tintin – et à mettre en avant ma personnalité.
Comment avez-vous vécu le passage dans ce cours, comment avez-vous vécu ces années? Qu’est ce que vous en avez retiré ?
Les premières années étaient très difficiles car je travaillais des sujets qui n’avaient rien à voir avec la bande dessinée, je ne savais pas où j’allais, ce que j’apprenais, mais après des humanités sans « culture artistique », je savais que c’était un passage obligé.
Très vite, je suis retombé sur mes « pattes » en réalisant des histoires, caméra à la main, et retravaillant, image par image, l’ensemble des séquences au crayon que je refilmais et puis montais, le tout avec un matériel archaïque… l’informatique n’existait pas, le 16 mm était trop cher, c’était du super 8.
J’ai très vite pris mon indépendance, j’avais compris l’importance du travail, j’ai réalisé plus de 3000 dessins sur les 2 dernières années de cours. J’ai pensé abandonner la BD et me lancer dans la réalisation, mais je publiais déjà dans un journal (TINTIN) et je pensais que ce n’était pas le moment de m’éparpiller, espérant très vite pouvoir publier un album! C’était en 1985… le contrat du premier album ne sera signé qu’en 1990!
Après les études, il y a une autre réalité, celle d’en vivre, de publier, de convaincre les éditeurs… fin des années 80, c’est le moment où les petites maisons d’éditions s’écroulent (Magic Strip, le Miroir, les éditions Delignes, Bédéscope,…) et donc les chances de publier aussi.
« Mais, il n’y a qu’une recette, c’est le travail et un professeur ne travaille pas à la place de l’élève, il est là pour le « bousculer », l’encourager, le stimuler, éveiller et éduquer son regard, ouvrir des pistes, aiguiller… »
Revenons à l’enseignement, quel a été pour vous le rôle de vos profs ?
J’avais des idées très précises de ce que je voulais faire. Ma culture en BD c’était Spirou, Lucky Luke et Tintin : c’est ce que je voulais faire: Une bande dessinée populaire !
Le rôle de mes différents professeurs était de m’encourager à être moi, prendre confiance en moi, expérimenter d’autres horizons, mettre en avant ma personnalité, me pousser à aller plus loin et à me surpasser. Évoluer dans le dessin et la narration. Mais, il n’y a qu’une recette, c’est le travail et un professeur ne travaille pas à la place de l’élève, il est là pour le « bousculer », l’encourager, le stimuler, éveiller et éduquer son regard, ouvrir des pistes, aiguiller…
« l’idée de continuer à être confronté avec cet esprit de recherche pluridisciplinaire, cette pédagogie propre à l’ERG m’emballait vraiment…»
Quand avez-vous eut dans l’idée d’enseigner? Comment cela s’est -il passé?
C’était une vocation, une opportunité ?
J’avais déjà eu l’occasion de donner des cours lors de stages lorsque j’étais ado. C’était peut-être une vocation. Mais l’envie de faire de la BD était plus forte, donc je ne voulais pas enseigner. Cependant, le directeur de l’ERG m’a proposé de reprendre un cours de dessin un an après ma sortie… l’idée de continuer à être confronté avec cet esprit de recherche pluridisciplinaire, cette pédagogie propre à l’ERG m’emballait vraiment. C’était la possibilité de rester en contact avec une constante remise en question et une interrogation sur l’évolution de mon travail par l’entremise des étudiants. C’était un nouveau défi. A l’époque, en arrivant à l’ERG comme étudiant, j’étais nulle part…
« La philosophie de l’école est plus de former des « auteurs » que des techniciens formés pour un marché ciblé, de donner aux étudiants la possibilité de développer une personnalité en fonction d’un médium choisi…»
Est-ce que vous pouvez résumer en quelques mots l’option pédagogique, la « philosophie », bref plus simplement dit, comment vous abordez cet enseignement ?
L’ERG est une école pluridisciplinaire basée sur un esprit de recherche (en deux mots). La philosophie de l’école est plus de former des « auteurs » que des techniciens formés pour un marché ciblé, de donner aux étudiants la possibilité de développer une personnalité en fonction d’un médium choisi.
Les étudiants de mon cours de dessin peuvent être dessinateur de BD, vidéastes, photographe, etc… C’est une école artistique supérieure de type long (4 années après le bac) où chaque étudiant est amené au fur et à mesure des années à développer un projet personnel en fonction des cours choisis. Je considère mon cours de dessin comme un laboratoire. Le travail qu’ils y effectuent les amène aussi bien à évoluer, découvrir des techniques, apprendre à éduquer leur regard (c’est l’éducation du « voir ») qu’à aller jusqu’au bout d’eux-mêmes, apprendre à se connaître, se découvrir… Le dessin est un travail de l’esprit mais aussi un travail physique, le corps y joue un rôle important.
Vos interventions sur les travaux des étudiants, sont-ils plutôt dirigés, concrets, pragmatiques, plutôt ouverts, volontairement vagues, et dans ce cas, pensez-vous que c’est à l’étudiant de trouver ce qui ne va pas et comment s’améliorer ?
Les interventions sont très variables bien sûr en fonction de :
la personnalité
du projet
de l’orientation
du moment dans le temps
de l’exercice…
Elles poussent l’étudiant à avoir un regard autocritique, à regarder d’une autre manière et, comme je dis plus haut, à se découvrir (une écriture, une force d’expression, une sensibilité, une émotion et, très important, une intuition!) Je me sens aussi un guide, je donne des pistes, des orientations.
En dessin, faites-vous souvent références à des artistes du passé? À des artistes contemporains ?
Les références sont un support didactique très important pour donner aux étudiants une plus large ouverture d’esprit, pour les aider à comprendre, à éduquer leur vision. C’est une nourriture indispensable… comment regarder, mais aussi, QUE regarder ? Souvent, ils n’ont que peu de références, mal choisies, qui viennent de l’enfance et qui n’ont que très peu évoluées.
Faire évoluer ses références, c’est déjà un grand pas l’évolution de soi!
Quand vous avez entendu « artistes contemporains », aviez-vous pensé automatiquement à des auteurs BDs ?
Les références sont d’autant plus larges que la spécificité du cours est pluridisciplinaire. Elles peuvent aller de Paul Klee à Dave Mc Kean, de Ralph Steedman à Matisse ou Fritz Lang à Hugo Pratt… Les » maîtres » restent LA référence, qu’il s’agisse d’Holbein ou de Picasso, d’Hergé ou de Moebius.
« La seule importance à mes yeux est l’envie et le plaisir du travail et de la publication. Si on est un génie et qu’on n’est pas publié, ça ne sert à rien…»
Avez-vous le sentiment d’influencer vos étudiants? et quelle est leur influence sur votre travail à vous ?
Je ne veux pas contrôler ou savoir quelle influence je peux avoir sur mes étudiants. La seule importance à mes yeux est l’envie et le plaisir du travail et de la publication. Si on est un génie et qu’on n’est pas publié, ça ne sert à rien. Pour cette raison au moins, je leur fais part de mon expérience de travail, les réussites et les galères. On apprend toujours beaucoup plus avec les erreurs qu’avec les bons résultats. Dans l’enseignement artistique, c’est important d’avoir une expérience professionnelle régulière. Ce n’est pas une question de crédibilité uniquement, mais un enrichissement au niveau de la pédagogie du cours.
Les critiques et les conseils sont d’abord ceux que je me fais sur mon travail quotidien. Dès lors, je leur montre de temps en temps des dessins, découpages, recherches, etc… C’est une manière de connaître une méthode de travail en fonction d’une collaboration éditoriale. Je leur explique ma méthode de travail, je leur donne des clés, à eux de trouver la leur.
Vu la diversité artistique qui est présente en général dans les écoles, comment gérer-vous ces styles nouveaux qui cherchent à s’affirmer? Leurs différences de style par rapport au vôtre? Que pouvez-vous dire à un étudiant qui développe un style aux antipodes du vôtre?
Je n’aime pas l’idée d’imposer un style ou une façon de faire, comme je ne pense pas qu’il y ait une bonne et une mauvaise démarche en tant que dessinateur ou auteur. Par contre, je suggère, je guide, j’oriente et je conseille. Je les aide à découvrir et se découvrir plus vite. J’accorde beaucoup d’importance à l’esprit de travail, la remise en question, la volonté d’aller au-delà de soi.
Concrètement, dans votre école, les étudiants travaillent tous sur des histoires ou des sujets communs, ou pas du tout? comment ça se passe?
Généralement ils travaillent sur des sujets communs. Soit une thématique imposée, soit croquis en extérieur ou encore le travail d’après modèle. Mais bien sûr, d’année en année se développe autour de cet axe le travail personnel de l’étudiant qui s’articule sur les sujets imposés.
Avez-vous des « Maîtres en pédagogie », comme on a des « Maîtres » en dessin ?
Des maîtres en pédagogie, non, pas vraiment.
Des lectures de maîtres (Klee, Matisse, Picasso…) mais aussi des livres comme: « dessiner à l’aide du cerveau droit » de Betty Edwards ou « l’art invisible » de Scott Mc Cloud…
«… le contact avec les étudiants m’aide à avoir un regard autocritique et m’oblige à être continuellement à l’écoute de l’actualité artistique..»
Qu’y trouvez-vous comme satisfactions, comme difficultés? Bref, que vous apporte cette activité? Sur un plan personnel?
C’est difficile de mener de front deux disciplines à fond, même si elles sont complémentaires. Il faut être disponible pour les étudiants et honorer ses contrats d’édition, ça veut dire réaliser un album par an. Mais c’est certain que l’un et l’autre sont stimulants. Il faut beaucoup de souplesse et d’organisation.
J’ai souvent envie de me consacrer pleinement à mon travail personnel, mais le contact avec les étudiants m’aide à avoir un regard autocritique et m’oblige à être continuellement à l’écoute de l’actualité artistique.
Le travail de dessinateur de BD, seul à sa table est plutôt antisocial. La combinaison avec les activités dans une école supérieure artistique me donne un équilibre idéal. Le problème, c’est le temps, on en a jamais assez pour réaliser pleinement tous ses projets !
Enfin la question rituelle lorsqu’on a un auteur en face de soi, quand sort votre prochain album?
Le KODA 4 « Valses maudites » sera bouclé fin juillet, coûte que coûte! Sa sortie est prévue en novembre.
Merci Olivier pour votre patience et votre disponibilité!
Merci Joseph. Bravo pour le site (mes étudiants le visitent!) A bientôt.
Enfin, pour finir en beauté, le superbe site web d’Olivier GRENSON :
Un nom simple à retenir : oliviergrenson.com
Interview réalisée
par Joseph BÉHÉ et Thierry MARY
le 28 juin 2002